Comment penser l’évolution de la pris en compte du bien-être animal ?

par Luna Fabresse

 

“L’espèce humaine tue consciemment, volontairement, chaque minute dans le monde, plus de deux millions d’animaux. Autrement dit, elle massacre en une semaine 50 fois plus d’animaux que l’ensemble des victimes humaines de toutes les guerres de l’histoire de l’humanité.” – J.M. Gancille, Carnage

Depuis quelques années, on constate une représentation accrue de la cause animale dans notre quotidien, surtout au travers d’opérations marketing (campagnes de Sea Shepherd par exemple avec images iconiques très crues) qui servent à donner de l’importance au débat et à ouvrir dialogue : corrida, abattoirs, zoo, pêche intensive, expérience en laboratoire… Tout cela est remis en question, notamment grâce au travail de mise au grand jour d’associations de protection des animaux, les enquêtes et la diffusion extrêmement dynamique et active sur les réseaux sociaux. Désir qui se traduit notamment par la remise en question de personnalités politiques majeures (avec Éric Dupont Moretti qui défend la corrida par exemple), ce qui témoigne donc d’une préoccupation grandissante dans la société : nous vivons dans un espace, qu’il soit urbain ou rural, traversé d’animaux (qu’ils soient domestiques ou dits sauvages, dans nos assiettes ou sur notre canapé).

Cause qui s’est traduite par certain nombre de lois, dont notamment :

1. en France : depuis 2015, l’animal n’est plus considéré juridiquement comme un simple objet mais “sa sensibilité le place au-dessus des objets non-vivants”.

2. en Europe : depuis 2013, la commission européenne a interdit l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques.

Ces lois montrent que si d’une part la prise de conscience sociale du problème animal est au fondement d’un changement de considération, la mise en œuvre de lois est absolument nécessaire. Mais est-ce que la lignée dans laquelle nous sommes (c’est-à-dire considérer de plus en plus la vulnérabilité et la sensibilité de l’animal) est suffisamment porteuse et vectrice d’évolutions dans leur traitement ? Ou au contraire faut-il repenser la place de l’animal dans la société différemment ? Il ne s’agit évidemment pas d’apporter une réponse univoque mais d’essayer de porter des éléments de réflexion pour concevoir au mieux la lutte pour le bien-être de tous les êtres vivants. Une des propositions en la matière a été de concevoir différemment le statut animal : Donaldson et Kymlicka, dans leur ouvrage Zoopolis (soit la cité des animaux), partent du postulat qu’il s’agit non plus de considérer leurs droits mais nos obligations concrètes à leur égard. D’où des modèles singuliers de coexistence, en fonction d’une classification des animaux en trois catégories (domestique, sauvages et liminaire) : la citoyenneté, la souveraineté, le statut de résident. Ce changement de point de vue juridique permet de penser une meilleure prise en compte du bien-être animal, car s’ils ont le même statut que nous et répondent à une classification similaire, il ne va plus de soi de les considérer comme fondamentalement différents : “l’utopie dans laquelle nous entrons démontre à elle seule que le manifeste de Kymlicka et Donaldson vaut d’abord comme méthodologie : il nous permet surtout de concevoir expérimentalement ce que pourrait être une cité non anthropocentriste” (Le Monde, 16/12/2016). De cela découle l’importance de remettre en question notre propre façon d’appréhender les choses et de se considérer dans un monde où ne n’en serions pas le centre, ou du moins ou nous prendrions en compte l’existence d’autres êtres au même titre que la nôtre.

D’où l’interrogation de la place de l’animal dans la préoccupation politique française : à quel point les acteurs politiques peuvent-ils mettre en place des actions et lois majeures sans un soutien important de la population ?

Interview de Charlène Blanc, correspondante du Parti animaliste dans la Manche (50) et chargée de communication réseaux sociaux Parti animaliste :

                     1. Depuis combien de temps es-tu engagée et qu’est-ce qui t’en a donné envie ?

Beaucoup de gens s’occupent déjà des humains et très peu des animaux, je ne comprenais pas pourquoi. Les animaux très intelligents, ont beaucoup de choses à nous apprendre. J’ai crée ma propre association à Sciences Po Aix, APNA, que j’ai présidée pendant tout mon cursus. J’ai fait mon stage de 3ème année à Barcelone auprès d’ONG de protections animales, et après Sciences po je me suis engagée dans le parti animaliste, au poste de stratégie de campagne pour les élections européennes.  Ensuite j’ai vu qu’il n’y avait plus d’élection vraiment importante pour eux, donc j’ai intégré l’équipe réseaux sociaux pour m’occuper de la communication (Facebook, Instagram). Quand je suis arrivée à Cherbourg, j’ai été nommée correspondante Manche. Avec mon poste de correspondant, je dirige l’antenne du Parti animaliste au sein d’un département et sur le terrain. Ça fait maintenant presque 3 que je suis engagée dans ce parti.

 

                     2. As-tu l’impression que ta lutte prend maintenant pleinement son sens en termes de possibilités de militer ?

Oui, évidemment que ma lutte prend pleinement son sens puisqu’effectivement quand on est dans un parti politique, quand on est correspondant on est beaucoup plus écoutés et légitimes quand on prend la parole. On était à 2% aux élections législatives, 2,2% aux élections européennes, ce qui peut paraître peu mais c’est énorme pour des partis qui ont quelques années d’existence.

 

                     3. À quelle(s) condition(s) penses-tu qu’il est possible d’envisager une véritable prise en compte de cette cause par la population ?

Je pense qu’il y a un éveil des consciences qui se fait auprès de la population française de plus en plus, grâce au travail incroyable des associations, qui montrent à la population ce qui se passe vraiment, dans les abattoirs et les élevages notamment. Travail des consciences complété par les partis politiques qui justement amènent cette question sur la scène politique, de plus en plus de personnalités publiques prennent en main cette question et qui la valorisent sur les réseaux, plateaux télé, c’est progressif mais vraiment est présent. C’est une question bien évidemment d’éducation, de sensibilisation dès le plus jeune âge, à l’école, mais on a encore des sorties scolaires dans des infrastructures comme Marineland, donc on n’apprend pas encore aux enfants à respecter l’animal et à réfléchir à l’animal en tant qu’être vivant et pensant. Et puis bien entendu la condition inéluctable c’est tout ce qui tourne autour des enjeux économique : malheureusement aujourd’hui protéger un animal rapporte beaucoup moins que de le maltraiter, le braconnage rapporte énormément d’argent sur le marché chinois notamment. Pareil pour l’industrie du luxe qui aujourd’hui commence à se réveiller sur la fourrure, sur le cuir, mais récemment on a vu qu’Hermès souhaite ouvrir un ferme de crocodiles en Australie pour sa prochaine collection de sac à mains.

 

                     4. Quelle est la relation du parti animaliste avec les associations de défense animale comme L214, 30 millions d’amis, etc… ? Est-il complémentaire, similaire…? Et concrètement, cela se traduit-il par des formes de partenariat ?

Oui, le parti animaliste bien évidemment reconnaît le travail des associations de protection animale, c’est d’ailleurs grâce à ces associations, et je le souligne, qu’aujourd’hui on a avancé sur le bien être animal et qu’on a fait plier la loi en notre faveur et ils légitiment encore plus notre présence sur la scène politique. Les associations ont donc un rôle extrêmement important, militant, elles ont vraiment une action ciblée de protection animale, elles ont une visibilité médiatique aujourd’hui qui est beaucoup plus importante et le parti animaliste a donc un rôle complémentaire puisqu’on joue sur la scène politique et donc les règles du jeu ne sont pas du tout les mêmes : un parti politique n’a pas autant de liberté de parole qu’une association, elle n’a pas le même objectif. Si on veut que les gens votent pour nous et qu’on ait des places au sein du parlement, on peut pas avoir la même liberté de parole. On va être plus nuancé sur certains sujets. Je dirais pour conclure que le travail est complémentaire, on s’allie souvent à des association pour des marches, des manifs mais en termes d’actions on est davantage dans la rédaction d’articles, dans la relation avec les élus locaux pour créer des partenariats, pour créer de programmes de protection animale au niveau des communes et des régions par exemple.

 

                     5. Bien que le parti animaliste soit de plus en plus considéré, il ne fait pas (encore ?) parti du paysage politique majeur. Réussit-il tout de même à faire la différence, et comment ?

Oui, le parti politique animaliste n’est pas encore un grand parti politique même s’il atteint des scores incroyables par sa jeunesse, mais c’est vrai qu’on est pas dans la sphère politique extrêmement influente. Pour autant, on fait la différence parce qu’on est un parti justement trans-partisan et monothématique : c’est la question animale et pas autre chose, souvent on nous considère comme les seconds des écologistes mais non, on est vraiment pour la considération du bien-être des animaux.

 

                     6. Dans quelle mesure penses-tu qu’une remise en question de nos moyens de consommation et de production est nécessaire pour opérer un changement de considération animale ?

La pensée animaliste c’est justement revenir à des valeurs plus saines, plus importantes et donc lutter contre le trop de consommation, contre l’élevage intensif, contre la pollution, ce qui entre en contradiction avec la pensée actuelle capitaliste. Et je pense que c’est d’ailleurs pour ça qu’aujourd’hui on a des difficultés à faire valoir la cause animale sur le sol français et dans le monde : c’est remettre en question tout un tas de tradition et de modes de production. C’est une condition sine qua none pour respecter l’animal aujourd’hui.

 

                     7. Sommes-nous rentrés dans un basculement, notamment depuis les lois de 2013 et 2015, ou faut-il relativiser ces évolutions ?

On peut parler d’un basculement en faveur des animaux théoriquement, mais en pratique c’est pas le cas. Au niveau juridique, même s’il est considéré comme être sensible il est toujours dans la catégorie des biens meubles : cela n’a pas de conséquence complètement visible sur la protection animale. Les sanctions judiciaires appliquées en cas de maltraitance sont rares et très faibles, tout comme pour les humains étant donné qu’en France on a très gros problème pour appliquer les peines et les sanctions. Il aurait fallu pour bien faire créer une autre catégorie entre les objets et les humains, une catégorie « non-humain » par exemple dédiée justement aux animaux. Jean-Pierre Marguénaud (juriste et professeur à la faculté de droit de Limoges) explique la différence entre les humains, non-humains et les conséquences que ça aurait pu avoir en termes de sanctions judiciaire, mais il faudrait pour cela repenser entièrement notre système juridique. Concernant la directive européenne pour interdire l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques c’est de la poudre aux yeux pour plusieurs raisons. La première, c’est que tout ce qui est dicté par le parlement européen n’a pas de portée contraignante, ce qui fait que les pays peuvent quand même déroger au texte du parlement en vertu de leur souveraineté nationale. Deuxième raison : cette interdiction s’applique uniquement pour les produits cosmétiques au sein de l’union européenne donc les produits cosmétiques qui vont être exportés en dehors de l’UE peuvent être testés sur les animaux et les produits cosmétiques testés sur les animaux qui viennent de pays en dehors de l’UE comme par exemple en Chine et sont acceptés sur le territoire européen et sont commercialisables.

 

                     8. Comment expliques-tu que malgré le fait que nous sachions individuellement que le bien-être animal est essentiel, il soit si peu pris en compte globalement ? / Autrement dit, comment expliques-tu que certaines personnes ne la prennent absolument pas en compte ? S’agit-il d’ignorance, de désintérêt, d’égocentrisme, ou bien d’obligation implicite de notre société (en tant qu’impératifs de production) ?

Il y a un problème d’éducation et d’impératif de production où la priorité est donnée à l’économie et les gens ne pensent pas nécessairement à ce qu’il y a derrière. Alors parler égoïsme, oui certainement un peu parce qu’aujourd’hui on ne peut pas ignorer ce qu’il se passe dans les abattoirs dans les élevages, avec les médias et les associations, le parti animiste en France et en Europe. Je vois des gens qui ne sont pas du tout sensibles aux animaux et qui à tort pensent que la priorité est ailleurs, sur les questions de protection de l’humain, de l’enfance et c’est un argument complètement inefficace parce que chaque cause est importante. En défendant les animaux on défend aussi pleins d’autres valeurs : si on apprend à respecter ce qui est considéré comme inférieur par la société et bien on apprend de facto à respecter notre égal au sein de cette même société. Ça amène donc au respect des femmes, des enfants, des personnes âgées, d’autrui de manière générale : c’est une cause qui est transversale qui rejoint pleins d‘autres problématiques. J’ai été conférencière pour le bien-être animal à Sciences Po sur tout ce qui est lien entre la maltraitance animale et la maltraitance des enfants et des femmes au sein du foyer familial : il y a une corrélation qui est juste incroyable entre les deux. Quelqu’un qui va maltraiter un animal on va déceler chez lui des problématiques psychologiques qui font qu’il va passer à l’acte chez l’humain quoi : dans le foyer familial si y’a des enfants maltraités, et qu’il y a un enfant dans le coin il est aussi dans la majorité des cas maltraité.

 

                     9. Comment imaginerais-tu la coexistence parfaite entre les humains et les animaux dans notre société, au sein des mêmes espaces ?

Une cohabitation parfaite serait un respect acté de l’animal, un respect de son territoire, de sa personne : faire les choses de manière plus durable et respectueuse de l’environnement puisque c’est surtout c’est lié. Il y a pleins d’initiatives d’individus et d’associations qui dépolluent des plages, qui réduisent leur consommation de viande, qui vont racheter les poules aux abattoirs pour les mettre dans leur jardin… Pareil concernant les espèces sauvages, c’est des ONG qui s’en occupent, donc on peut faire des dons ou aller les aider sur place. Il est également possible de voir quels sont produits les menaçant commercialisés en France qu’on peut arrêter de consommer.  Aujourd’hui une action est lancée et peut réellement révolutionner les lois en faveurs des animaux : le référendum d’initiative pour les animaux1 lancé par Hugo Clément en ligne actuellement. Effectivement, ça ne passe pas par la procédure politique classique, c’est organisé par le citoyen et ça permet justement de lutter contre ce système politique engorgé par les lobbies, notamment par ceux de la chasse, de la viande, de l’agro-alimentaire qui font qu’aujourd’hui dès qu’il y a une loi de protection animale qui peut passer elle est tout de suite bloquée. Ça prend 30 secondes par personnes et j’espère que les gens vont en parler autour d’eux, qu’on va progressivement faire augmenter ce nombre de signatures. Ce sont des propositions qui sont tout à fait acceptables et pas du tout extrêmes : l’arrêt des spectacles avec les animaux, la fin des pratiques de chasse entraînant des souffrances inutiles de l’animale (on ne demande pas l’interdiction totale de la chasse, mais simplement des pratiques cruelles)…

Article et propos recueillis par Luna Fabresse 

1 Référendum d’initiative populaire : procédure inscrite dans la constitution française qui permet, à partir de quatre millions de signatures et le soutien de 180 parlementaires d’organiser un référendum pour passer des lois.

Pour aller plus loin :

BIBLIO :

Leave a Reply