La malédiction du collant qui s’effile
Comprendre l’impact environnemental de sa garde-robe
Tout est parti d’un collant qui s’est effilé alors que je le mettais seulement pour la seconde fois, ça m’a mise en rogne.
Après quelques jurons, j’ai dû me rendre à l’évidence : les collants, c’est comme les imprimantes, ce n’est pas fait pour durer. Cette petite phrase m’est restée dans la tête une bonne partie de la journée, et quelques recherches plus tard le constat était sans appel.
En France, 70% des collants ne dépassent pas six utilisations, et près de la moitié (40%) ne sont portés que trois fois avant d’être jetés. Les françaises achètent dix à onze collants par saison, ce qui équivaut à une centaine d’euros par an. De quoi provoquer un ras-le-bol légitime, doublé d’une certaine frustration.
La raison d’une telle fragilité ? Afin de réduire les coûts, les fabricants utilisent des fils de faible qualité, et le tricotage du tissu, dans un souci d’optimisation et de standardisation de la production, ne suit plus la morphologie de la jambe. La technique de teinture des collants altère la fibre, et l’utilisation d’additifs chimiques finit d’en fragiliser le tout.
Pourquoi les collants s’effilent-ils ? Parce que sinon vous n’en rachèteriez pas
Les fabricants produisent sciemment des collants dont la durabilité est diminuée par le processus même de fabrication, ils ne sont littéralement pas conçus pour durer. Une sorte d’obsolescence programmée, en somme.
L’obsolescence programmée est un concept particulièrement révoltant et qui, je venais d’en prendre conscience, s’applique aussi au secteur textile.
Légalement, l’obsolescence programmée se définit comme « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ».
C’est-à-dire concevoir des objets à durée de vie volontairement limitée et qu’il n’est parfois pas possible de réparer. Le pire, c’est que ça touche une majorité des objets du quotidien, de la paire de collants aux ampoules. Parce que oui, une ampoule pourrait briller plus de 1000 heures, mais les fabricants ne voient pas l’intérêt de vendre un produit qu’on ne remplacera pas ou peu…
L’industrie de la mode et du textile illustre parfaitement l’obsolescence programmée, particulièrement la fast fashion.
La fast fashion, ce sont des enseignes textiles qui produisent des vêtements vendus à bas prix et qui renouvellent très fréquemment leurs collections.
Résultat, les français achètent 60% de vêtements de plus qu’il y a quinze ans et les gardent deux fois moins longtemps.
En moyenne, un⋅e français⋅e porte seulement 30% de sa garde-robe de façon régulière, les 70% restants étant portés occasionnellement… voire pas du tout.
Nos placards sont plus fournis qu’au début du siècle, mais sommes-nous mieux habillé⋅e⋅s pour autant ? Pas forcément.
L’habit ne fait pas le moine, mais il impacte votre empreinte écologique
Pour pouvoir pratiquer des prix bas en magasin, les enseignes de fast fashion rognent sur tous les coûts possibles. Du point de vue de nos placards, le calcul est simple : si ces vêtements sont moins chers, les renouveler plus souvent n’a pas d’impact, la différence de prix compensant la fréquence d’achat.
Mais derrière ces prix bas, qu’y a-t-il ? C’est là que l’histoire se gâte.
Commençons par la matière première. Le coton est l’une des fibres textiles les plus répandues, grand favoris des fabricants et des consommateur⋅rice⋅s. Sa culture se fait principalement en Afrique et en Asie Centrale et Orientale, dans des pays comme l’Ouzbékistan, le Pakistan, l’Inde ou la Chine (bonjour le respect des droits de l’Homme et des travailleurs). La culture du coton est gourmande en pesticides (bonjour glyphosate), et vorace en eau.
La mer d’Aral en 1960, c’était un lac qui faisait deux fois la taille de la Belgique. En 2014, elle a perdu 90% de sa superficie à cause de la culture intensive du coton en Ouzbékistan et du détournement des fleuves affluents qu’elle a occasionné.
Si on considère toute la chaîne de production (culture, traitement, filage, teinture, etc), il faut environ 2 700 litres d’eau pour produire un T-shirt en coton. C’est ce que boit un adulte en trois ans.
Les fibres synthétiques ne sont pas forcément mieux, car issues du pétrole. Elles produisent des microparticules de plastique avec l’usure, notamment par les frottements occasionnés lors du lavage. Ces fibres ne sont pas biodégradables, et finissent dans nos océans, dans l’eau potable, ou dans l’air que nous respirons. On récapitule dans un prochain article un guide des fibres textiles, lesquelles éviter, celles à privilégier et pourquoi.
Après la production des matières premières, penchons-nous sur la fabrication du vêtement en lui-même. La fabrication d’un vêtement commence par la conception de son design. Du fait de la haute cadence de collections imposées par l’industrie, il arrive que les marques de fast fashion s’inspirent des designs de créateurs indépendants. Enfin, quand on dit s’inspirer, on veut plutôt dire copier sans vergogne, s’approprier le travail d’autrui sans leur en accorder le crédit ni, par la même occasion, les payer. Vous pouvez trouver sur Internet quantité d’exemples, et ce n’est pas joli joli.
Intéressons-nous maintenant à la production de ces vêtements. Pour proposer des prix bas en magasin, les marques n’hésitent pas à mettre sous pression financière les usines (souvent en Asie du Sud-Est et en Chine), qui sont alors incapables de respecter les normes environnementales européennes.
La production textile pollue des centaines de milliers d’hectares à cause des eaux souillées qui sont rejetées dans la nature sans traitement préalable.
Aujourd’hui, 70% des cours d’eau chinois sont contaminés par les rejets chimiques des usines – textiles majoritairement. Cette eau souillée sert ensuite à l’agriculture, ou à l’usage courant des populations, occasionnant d’importants problèmes de santé publique. Des villages entiers sont malades, des générations d’enfants naissent avec des malformations, des villageois vivent en permanence avec un masque sur le visage pour se protéger de vapeurs toxiques.
Les conditions de travail de la main d’œuvre sont également alarmantes. Les usines d’où sortent la plupart de nos habits sont appelés des sweat shops, littéralement traduit par atelier de misère, ça donne le ton.
Dans ces usines, les ouvrier⋅ère⋅s (dont 85% sont des femmes) travaillent dans des conditions inhumaines, trop peu payé⋅e⋅s pour subvenir à leurs besoins primaires, retenu⋅e⋅s contre leur gré tant que la production n’est pas terminée, dans des immeubles loin des normes de sécurité.
Le drame du Rana Plaza au Bengladesh en avril 2013 vous dit sûrement quelque chose : 1 138 ouvrier⋅ère⋅s ont péri et plus de 2 000 ont été blessé⋅e⋅s dans l’effondrement de l’usine dans laquelle il⋅elle⋅s se trouvaient, et ce alors qu’il⋅elle⋅s avaient signalé les fissures du bâtiment à leur hiérarchie.
Ça semble loin de nous, mais ça ne l’est pas tant que ça puisque les principaux clients de cette usine étaient H&M, Mango, Primark, Auchan, Benetton et consorts. Autant de marques que l’on retrouve dans une majorité de placards français et européens. Cinq ans après cette tragédie, les mesures prises restent encore très mitigées.
Le transport, des matières premières au produit fini, est également problématique : pour fabriquer un T-shirt, on utilise un coton cultivé en Asie ou en Afrique, qui sera teint dans un autre pays, puis renvoyé en Asie du Sud-Est pour sa confection, avant d’être finalement vendu en France (ou n’importe où dans le monde). Il peut avoir fait le tour de la planète avant d’arriver dans nos rayons, le plus souvent en avion, car la fast fashion n’attend pas.
Enfin, les bas prix et la qualité médiocre de ces vêtements incitent la clientèle à renouveler fréquemment ses achats. Cette haute cadence de fabrication et de consommation des vêtements engendre une augmentation spectaculaire des déchets, qui sont très rarement traités et revalorisés.
Ces constats donnent un goût amer à notre dernière virée shopping. Pourtant, en tant que consommateur⋅rice⋅s, nous pouvons agir. En refusant d’acheter des vêtements produits d’une façon aussi indécente, nous avons le pouvoir de mettre les marques face à leurs responsabilités et exiger qu’elles changent pour des modes de production plus vertueux.
Agir à son échelle
Penser sa garde-robe en mode durable
On vous en parlait précédemment, l’industrie de la mode est du textile est l’une des plus polluantes au monde, notamment à cause des enseignes de fast fashion qui ont imposé une cadence de fabrication insoutenable. La production de matières premières, leur traitement et leur transport coûtent à notre planète, et des vies humaines sont sacrifiées de manière directe ou indirecte dans le processus de conception de nos vêtements.
Rares sont ceux qui n’ont pas dans leur placard un petit top H&M, ou un jean Zara, nous les premier⋅ère⋅s… Alors qu’est-ce qu’on peut faire ?
Plein de choses, et c’est une bonne nouvelle ! On vous propose dans cet article des pistes à explorer pour rendre votre garde-robe un peu plus durable.
Faire les bons choix
Face au constat alarmant du coût écologique et humain de l’industrie de la mode et du textile, on peut être tenté⋅e de baisser les bras, de fermer les yeux. Mais ne vous découragez pas, il y a beaucoup de gestes simples à mettre en place pour limiter l’impact écologique de votre garde-robe.
Tout d’abord, lorsque vous faites votre shopping gardez en tête les « 5 R » de la durabilité et cherchez comment vous pouvez les appliquer : réduire, réparer, réutiliser, réinventer et recycler.
Réfléchissez à deux fois avant d’acheter ce T-shirt tendance qui vous fait de l’œil, refusez les achats d’impulsion lorsque vous le pouvez. Il ne s’agit pas de se frustrer mais plutôt de se demander si ça vaut le coup, si on en a besoin (et si ce n’est pas le cas, reposez-le en rayon). Lorsque l’on achète moins de vêtements, on en jette moins. Moins de production donc moins d’impact environnemental et social, c’est un cercle vertueux.
Si vous achetez des vêtements neufs, vous pouvez essayer de mieux les choisir. Pour commencer simplement, jetez un œil aux matières utilisées pour confectionner la pièce : préférez le coton bio ou recyclé et les matières naturelles végétales. Vous pouvez également choisir des marques qui garantissent une traçabilité de leurs produits et le respect des normes écologiques et sociales.
Certains vêtements sembleront alors plus chers que ceux vendus par les enseignes de fast fashion, mais ils seront aussi de meilleure qualité et dureront plus longtemps. Et puis, qu’on se le dise, 30€ pour un pantalon, ça ne peut pas être le vrai prix si l’on rémunère décemment les ouvrier⋅ère⋅s qui l’assemblent et si l’on respecte les normes environnementales.
Sachez qu’il existe également des labels pour vous aider à choisir. On a fait pour vous un petit tour du web : retrouvez dans cet article notre sélection de marques responsables et durables.
Les habits de seconde main sont une option souvent plus économique que l’achat de vêtements neufs, et écologique : vous ne participez pas à la surproduction en passant par ces réseaux. Vous pouvez trouver des pièces stylées en friperies ou en ligne, et pour les petits prix, plusieurs associations solidaires organisent des ventes ponctuelles.
Bien entretenir pour faire durer
Choisir son habit est une étape cruciale, savoir l’entretenir correctement l’est tout autant, et ça, c’est notre part du boulot. Un vêtement bien entretenu est un vêtement qui dure plus longtemps et en meilleur état.
Si vous avez besoin de précisions pour vous aider à déchiffrer les étiquettes, fabriquer vous-même votre lessive éco-friendly, ou d’autres conseils pour entretenir votre garde-robe en minimisant votre impact écologique, on vous explique comment faire dans cet article.
Transformer et recycler
Envie d’un peu de nouveauté dans votre placard ? Et si vous transformiez les pièces que vous ne mettez plus ?
En quelques coups de ciseaux bien placés et autant de coutures, une chemise d’homme peut devenir une robe sur-mesure, un T-shirt se transforme en tote bag et un vieux pull en housse de coussin ! Pas convaincu⋅e⋅s ? Alors jetez un coup d’œil aux ateliers disponibles sur le site : customisation, transformation, couture, broderie… Le champ des possibles n’a de limite que votre créativité.
Enfin, si vous tenez à vous débarrasser de certains habits ou chaussures, ne les jetez pas à la poubelle : troc, don à des associations, ou vente entre particuliers, s’ils sont en bon état, c’est facile !
S’ils ne sont plus portables, vous pouvez les transformer en chiffons, ou les déposer dans les bennes prévues à cet effet. On vous parle des différentes manières de recycler vos vêtements dans cet article, des adresses pour leur trouver un nouveau placard pour les accueillir au processus de revalorisation, on vous explique tout.
Plein de gestes simples peuvent être faits pour rendre votre garde-robe plus durable et respectueuse de l’environnement et des humains. N’hésitez à nous dire en commentaire ce que vous avez fait et à partager vos idées. On attend vos retours avec impatience !
Auteure : Flora Canino
Sources :
“Collants : cas d’obsolescence programmée ? Rapport d’enquête sur les enjeux et solutions en matière de collants“, par le collectif H.O.P ; Mai 2018
“Comprendre l’obsolescence programmée“, par HOP
La plus vieille ampoule brille depuis 110 ans sans discontinuer. On peut même la regarder briller.
“L’envers de mon look“, rapport de l’ADEME ; 2018
“Coton : l’envers de nos tee-shirts“, par Cash investigations de France 2 ; novembre 2017
“Disparition de la mer d’Aral : les causes d’un désastre écologique“, par National Geographic ; 2018
ADEME ; ibid. ; 2018
“Habillement-chaussure : quels sont les produits textiles les plus polluants ? “, par fashion network, 2018
“DOSSIER : Drame de Dacca au Bangladesh, les forçats du textile“, l’Express
“Bangladesh : cinq ans après le drame du Rana Plaza, l’heure du bilan “, Libération ; avril 2018
ADEME ; ibid. ; 2018
“Vêtements écologiques: quelles fibres textiles choisir ? “, par l’info durable ; mars 2018